Le climat a changé tout au long de l’histoire de la Terre. Si certains aspects du changement climatique actuel ne sont pas inhabituels, d’autres le sont. La concentration de CO2 dans l’atmosphère a atteint un niveau record par rapport à la période couvrant plus d’un demi-million d’années passées, et ceci, à un rythme exceptionnellement rapide. Les températures mondiales actuelles sont plus élevées qu’elles ne l’ont jamais été au cours des cinq derniers siècles au moins, voire même du dernier millénaire. Si le réchauffement continue à ce rythme, le changement climatique qui en découlera au XXIe siècle sera, en termes de géologie, extrêmement inhabituel. Un autre élément inhabituel de ce récent changement climatique en est sa cause: les changements climatiques du passé étaient d’origine naturelle (voir FAQ 6.1), tandis que le réchauffement des 50 dernières années est imputable aux activités humaines.
Lorsqu’on compare les changements climatiques actuels à ceux du passé, d’origine naturelle, trois points sont à remarquer. En premier lieu, il faut savoir exactement quelles sont les variables comparées : s’agit-il de concentrations de gaz à effet de serre ou de températures (ou d’autres paramètres climatiques), et s’agit-il de leurs valeurs absolues ou du rythme de leur évolution ? En second lieu, il ne faut pas confondre les changements à échelle locale et les changements à échelle mondiale. Les changements climatiques locaux sont souvent beaucoup plus importants que les changements climatiques mondiaux, puisque les facteurs locaux (comme les variations de la circulation océanique ou atmosphérique) peuvent déplacer la chaleur ou l’humidité d’un endroit à un autre, ce qui fait intervenir des mécanismes de rétroaction locaux (rétroaction des glaces de mer, par exemple). A l’inverse, une évolution importante des températures moyennes mondiales nécessite quelque forçage global (comme la modification des concentrations de gaz à effet de serre ou de l’activité solaire). En troisième lieu, il est indispensable de distinguer les échelles temporelles. L’évolution du climat sur des millions d’années comparée aux changements climatiques à l’échelle séculaire peut être beaucoup plus importante et avoir des causes différentes (la dérive des continents, par exemple).
La raison principale de l’inquiétude suscitée par le changement climatique actuel est l’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère (ainsi que d’autres gaz à effet de serre), ce qui est très inhabituel pour l’ère quaternaire (soit les deux derniers millions d’années). Les carottes de glace de l’Antarctique nous fournissent aujourd’hui des données précises sur les concentrations de CO2 pendant les 650 000 dernières années. Pendant cette période, les concentrations de CO2 ont varié entre 180 ppm pendant les glaciations, et 300 ppm pendant les périodes interglaciaires plus chaudes. Au cours du siècle passé, les concentrations ont rapidement dépassé ces valeurs, et atteignent de nos jours 379 ppm (voir le chapitre 2). À titre de comparaison, l’accroissement de la concentration du CO2 de quelques 80 ppm à la fin des périodes glaciaires précédentes, s’est étalé sur plus de 5 000 ans. Des valeurs plus élevées que les valeurs actuelles n’ont été atteintes que des millions d’années auparavant (voir FAQ 6.1).
La température est une variable qu’il est plus difficile de reconstituer que le CO2 (gaz globalement hétérogène), car elle n’a pas la même valeur à travers le monde, de sorte qu’un relevé isolé (une carotte de glace, par ex.) n’aura qu’une valeur limitée. Les écarts locaux de température, même ceux qui ne portent que sur quelques décennies, peuvent atteindre plusieurs degrés Celsius, ce qui dépasse le seuil du réchauffement mondial du siècle passé, qui avoisinait les 0,7oC.
L’analyse à grande échelle (mondiale ou hémisphérique) des moyennes présente encore plus d’importance pour l’évolution mondiale, puisque la plupart des variations locales s’égalisent et la variabilité est plus faible. Les relevés effectués par des instruments de mesure fiables ne remontent qu’à quelque 150 années. Plus loin dans le temps, les compilations de données indirectes récoltées à partir d’anneaux de croissance des arbres, de carottes de glace etc., peuvent remonter aussi loin que mille ans, voire plus, avec une fiabilité décroissante pour les périodes plus reculées (voir section 6.5). Bien qu’il y ait des différences entre ces reconstitutions et que subsistent des plages d’incertitudes, toutes les reconstitutions publiées à ce jour font état de températures chaudes à l’époque médiévale, rafraichies aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, pour remonter rapidement par la suite. Le niveau de chaleur à l’époque médiévale n’est pas connu avec certitude, mais il aurait pu être atteint de nouveau vers le milieu du XXe siècle, pour être probablement dépassé depuis lors. Ces conclusions sont également confirmées par des modélisations climatiques. Les écarts de température datant de plus de 2000 ans n’ont pas fait l’objet de compilations systématiques moyennées à grande échelle, aussi ne prouvent-ils pas qu’à l’époque de l’Holocène (il y a 11 600 ans, voir section 6.4), la température pouvait dépasser les moyennes annuelles mondiales actuelles. De fortes présomptions permettent d’affirmer qu’avant il y a 3 millions d’années, le climat était plus doux, la couverture glaciaire bien moins étendue et le niveau de la mer plus élevé. De ce fait, la chaleur actuelle semble inhabituelle dans le contexte du dernier millénaire, mais pas dans un contexte temporel plus vaste, où il faudrait tenir compte des changements de l’activité tectonique (pouvant entraîner une lente évolution naturelle des concentrations de gaz à effet de serre) (voir encadré 6.1).
La vitesse du réchauffement actuel est un autre point d’interrogation. Les données indirectes incluent-elles les changements climatiques mondiaux rapides ? Les variations de température les plus marquantes du dernier million d’années concernent les cycles glaciaires, durant lesquels la température moyenne mondiale a augmenté de 4oC à 7oC entre les périodes glaciaires et interglaciaires, plus douces (les changements locaux étaient plus beaucoup plus importants, par ex., près des inlandsis). Cependant, les données indiquent que le réchauffement mondial à la fin de toute ère glaciaire était un processus progressif, s’étalant sur près de 5 000 ans (voir section 6.3). Il est donc évident que par rapport aux évolutions du passé, le changement climatique actuel évolue à un rythme bien plus rapide et très inhabituel. Les brusques sautes climatiques des périodes glaciaires, qui donnent lieu à maintes discussions (voir section 6.3), ne constituent pas des contre-exemples puisqu’elles ont probablement été causées par des changements dans la circulation thermique océanique, ce qui ne saurait affecter la température moyenne mondiale.
Si l’on remonte encore plus loin dans le temps, au-delà des données fournies par les carottes de glace, la résolution temporelle des noyaux sédimentaires et d’autres archives ne met pas en évidence de changements aussi rapides que le réchauffement actuel. De ce fait, bien que d’importants changements climatiques se soient produits dans le passé, rien ne prouve qu’ils aient été plus rapides que le réchauffement actuel. Si les projections qui indiquent un réchauffement d’environ 5oC pour le siècle actuel se réalisaient (limite supérieure de la fourchette), c’est que la Terre aurait subi sensiblement le même réchauffement qu’à la fin de la dernière période glaciaire ; par comparaison avec les diverses hausses de température mondiale depuis 50 millions d’années, un tel rythme attribué aux éventuels changements climatiques futurs serait probablement sans précédent.