RT.3.2 Changements dans la cryosphère : relevés instrumentaux
Les glaces couvrent actuellement 10 % de la surface de la Terre en permanence, dont seule une fraction minuscule est extérieure à l’Antarctique et au Groenland. La glace couvre aussi approximativement 7% des océans en moyenne annuelle. En plein hiver, la neige couvre approximativement 49% de la surface terrestre dans l’hémisphère nord. Une propriété importante de la neige et de la glace est leur grand albédo de surface. Du fait que plus de 90% du rayonnement solaire incident est reflété par la neige et les surfaces de glace, alors que seul 10% est reflété par l’océan et les terres boisées, les modifications de la couche neigeuse et de la couverture de glace sont des mécanismes de rétroaction importants dans le changement climatique. De plus, la neige et la glace sont des isolants efficaces. La surface des sols gelés de manière saisonnière est plus grande que la couverture neigeuse et sa présence est importante pour des flux d’humidité et l’énergie. Les surfaces gelées jouent ainsi un rôle important dans l’énergie et dans les processus climatiques. {4.1}
La cryosphère stocke environ 75 % de l’eau douce mondiale. À l’échelle régionale, des variations dans la couverture neigeuse en montagne, les glaciers et des petites calottes glaciaires jouent un rôle crucial dans la disponibilité d’eau douce. Puisque le changement de la glace à l’eau liquide a lieu à des températures spécifiques, la glace est une composante du système climatique qui pourrait être soumise à un changement brusque après un réchauffement suffisant. Les observations et les analyses de changements de la glace se sont élargies et se sont améliorées depuis le TRE, y compris en ce qui concerne le rétrécissement du volume des glaciers de montagne, les diminutions de la couverture neigeuse, les changements du pergélisol et des sols gelés, les réductions de l’étendue de la glace dans la mer Arctique, l’amincissement côtier de la couche de glace du Groenland dépassant l’épaississement intérieur dû à l’accroissement des chutes de neige, et les réductions des sols saisonnièrement gelés et la couverture de glace des rivières et des lacs. Celles-ci permettent une meilleure compréhension de la manière dont la cryosphère change, y compris ses contributions aux évolutions récentes du niveau de la mer. Les périodes allant de 1961 à aujourd’hui et de 1993 à aujourd’hui sont un élément sur lequel ce rapport se base, en raison respectivement de la disponibilité de données d’équilibre de masse de glaciers directement mesurées et d’observations altimétriques des nappes glaciaires. {4.1}
La couverture de neige a diminué dans la plupart des régions, particulièrement au printemps. Dans l’hémisphère nord, la couverture neigeuse observée par satellite au cours de la période 1966 à 2005 a diminué pour chaque mois, sauf en novembre et décembre, avec une baisse en marches d’escalier de 5% en moyenne annuelle à la fin des années 1980 (cf. figure RT.12). Dans l’hémisphère sud, le peu de séries de données de longue durée ou indirectes montre surtout des diminutions, voire aucun changement durant les quarante dernières années. On observe dans l’hémisphère nord que la mesure de couverture neigeuse d’avril est fortement corrélée avec la température d’avril aux latitudes 40°N à 60°N, reflétant les réactions entre la neige et la température. {4.2}
Les diminutions dans la couverture de neige ont été documentées dans plusieurs régions du monde, sur la base de séries temporelles annuelles d’équivalent-eau des neiges de montagne et de l’épaisseur de la neige. La neige de montagne peut être sensible aux petites modifications de température, particulièrement dans des zones climatiques tempérées où la transition de la pluie à la neige est généralement étroitement associée à l’altitude du point de congélation. La diminution de la couverture neigeuse de montagne en Amérique du Nord occidentale et dans les Alpes suisses est plus marquée à faible et chaude élévation. L’équivalent-eau des neiges de montagne a baissé depuis 1950 dans 75% des stations contrôlées en Amérique du Nord occidentale. L’épaisseur de la neige de montagne a aussi baissé dans les Alpes et en Australie du sud-est. Les observations directes d’épaisseur de neige sont trop restreintes pour déterminer des changements dans les Andes, mais des mesures de température suggèrent que l’altitude que la neige atteint (soit au-dessus de la limite de la neige) est probablement montée dans les régions montagneuses de l’Amérique du Sud. {4.2}
Le pergélisol et les sols gelés de manière saisonnière montrent dans la plupart des régions de grands changements au cours des dernières décennies. Les changements de conditions de pergélisol peuvent affecter l’écoulement des fleuves, l’approvisionnement en eau, l’échange carbonique et la stabilité du paysage, et peuvent endommager les infrastructures. On a observé des augmentations de température au sommet de la couche de pergélisol allant jusqu’à 3°C depuis les années 1980. Le réchauffement du pergélisol a aussi été observé, avec une ampleur variable, dans l’Arctique canadien, en Sibérie, sur le Plateau tibétain et en Europe. La base du pergélisol dégèle à un taux variant entre 0,04 m/an dans l’Alaska à 0,02 m/an sur le Plateau tibétain. {4.7}
Le secteur maximal couvert par les sols saisonnièrement gelés a diminué de 7% dans l’hémisphère nord, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, avec une diminution vernale de plus de 15%. Sa profondeur maximale a chuté d’environ 0,3 m dans l’Eurasie depuis le milieu du XXe siècle. De plus, l’épaisseur du dégel saisonnier maximal a augmenté d’environ 0,2 m dans l’Arctique russe de 1956 à 1990. {4.7}
En moyenne, la tendance générale pendant les 150 dernières années, pour ce qui concerne la glace des rivières et des lacs de l’hémisphère nord, montre que la date de gel advient plus tardivement à un taux moyen de 5,8 ± 1,9 jours par siècle, tandis que la dissolution a lieu plus tôt, à un taux de 6,5 ± 1,4 jours par siècle. Cependant, une variabilité spatiale considérable a aussi été observée, avec quelques régions montrant les tendances de signe opposé. {4.3}
L’étendue moyenne de la couche de glace sur l’océan Arctique a diminué de 2,7±0,6% par décennie depuis 1978 selon des observations satellites (cf. figure RT.13). Le déclin s’observe surtout en été plus qu’en hiver, avec un minimum estival baissant à un taux d’environ 7,4 ± 2,4% par décennie. D’autres données indiquent que le déclin estival a commencé autour de 1970. Des observations semblables dans l’Antarctique révèlent une plus grande variabilité interannuelle, mais aucune tendance cohérente pendant la période d’observations par satellite. Au contraire des changements de la glace continentale tels que les couches de glace et les glaciers, les changements de la glace sur la mer ne contribuent pas directement au changement du niveau de la mer (parce que cette glace flotte déjà), mais peut contribuer aux changements de salinité par l’apport d’eau douce. {4.4}
Pendant le XXe siècle, les glaciers et des calottes glaciaires ont subi des pertes massives étendues, ce qui a contribué à l’élévation du niveau de la mer. La perte massive des glaciers et des calottes glaciaires (excluant celles des couches de glace du Groenland et l’Antarctique) est évaluée à 0,50 ± 0,18 mm/an en équivalent de niveau de la mer (ENM) entre 1961 et 2003 et 0,77 ± 0,22 mm/an ENM entre 1991 et 2003. La dernière déperdition des glaciers au XXe siècle est probablement une réaction au réchauffement de 1970. {4.5}
Des observations récentes montrent l’évidence de changements rapides du flux de glace dans certaines régions, contribuant à l’élévation du niveau de la mer et suggérant que la dynamique de disparition de la glace peut être un facteur clef dans les réponses futures de la calotte glaciaire, des glaciers côtiers et des couches de glace au changement climatique. L’amincissement ou la disparition de la calotte glaciaire dans certaines régions presque côtières du Groenland, dans la péninsule antarctique et dans l’Antarctique ouest ont été associés au flux accéléré de glaciers voisins et des mouvements de glace, suggérant que des calottes glaciaires (incluant celles de quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres de long) pourraient jouer un plus grand rôle dans la stabilisation ou la restriction de la dissolution par rapport à ce que l’on pensait précédemment. Des températures tant océaniques qu’atmosphériques semblent contribuer aux changements observés. Le grand réchauffement d’été dans la région de la péninsule antarctique a très probablement joué un rôle dans la dissolution rapide de la calotte glaciaire du Larsen B en 2002, en augmentant la quantité d’eau de fonte estivale, qui s’est écoulée dans des crevasses et a créé des failles. Les modèles ne tiennent pas précisément en compte de tous les processus physiques qui semblent être impliqués dans le vêlage observé des icebergs (comme dans la dissolution de Larsen B). {4.6}
Le Groenland et les nappes glaciaires antarctiques considérés ensemble ont très probablement contribué à l’élévation du niveau de la mer de la décennie passée. Il est très probable que la nappe glaciaire du Groenland ait rétréci entre 1993 à 2003, avec un épaississement central plus que compensé par la fonte accrue dans les régions côtières. Il ne peut être clairement établi à partir des observations si les nappes glaciaires ont crû ou rétréci sur des durées supérieures à une décennie. Le manque d’accord entre différentes techniques et le faible nombre d’évaluations ne permettent pas d’attribuer de meilleures évaluations ou des limites d’erreur statistiquement rigoureuses pour établir les bilans de masse des nappes glaciaires. Cependant, l’accélération de glaciers d’échappement drainant la glace de l’intérieur a été observée dans les deux nappes glaciaires (cf. figure RT.14). L’évaluation des données et des techniques suggère un bilan de masse pour la nappe glaciaire du Groenland de –50 à –100 Gt/an (un rétrécissement contribuant à une élévation mondiale du niveau de la mer de 0,14 à 0,28 mm/an) de 1993 à 2003, avec d’encore plus grandes pertes en 2005. Des incertitudes plus grandes entachent les périodes précédentes et les données concernant l’Antarctique. La marge évaluée dans le bilan de masse pour la nappe glaciaire du Groenland au cours de la période 1961 à 2003 se situe entre une croissance de 25 Gt/an et un rétrécissement de 60 Gt/an (–0,07 à 0,17 mm/an SLE). L’évaluation de toutes les données aboutit à une évaluation pour le bilan des masses de l’ensemble des glaces de l’Antarctique d’une croissance de 100 Gt/an à un rétrécissement de 200 Gt/an (–0,27 à 0,56 mm/an SLE) de 1961 à 2003, et de +50 à-200 Gt/an (–0,14 à 0,55 mm/an SLE) de 1993 à 2003. Les changements récents du flux de glace suffiront probablement à expliquer une grande partie du déséquilibre massique antarctique, les changements récents du flux de glace, les chutes de neige et l’écoulement de l’eau de fonte suffisant à expliquer le déséquilibre massique du Groenland. {4.6, 4.8}