IPCC Fourth Assessment Report: Climate Change 2007
Rapport du Groupe de travail I - Les éléments scientifiques

RT.2.1.1. Variation du dioxyde de carbone, du méthane et du protoxyde d’azote atmosphériques

Les concentrations actuelles de CO2 atmosphérique et de CH4 excèdent de beaucoup les relevés de valeurs préindustrielles mesurées par carottage des glaces polaires remontant jusqu’à 650 000 ans. De multiples éléments tentent à prouver que l’augmentation postindustrielle de ces gaz n’est pas liée à des mécanismes naturels (v. figures RT.1 et RT.2). {2.3, 6.36.5, FAQ 7.1}

Figure RT.1

Figure RT.1. Variations de la concentration de deutérium (δD) dans les glaces de l’Antarctique (indicateur représentatif de la température locale) ; et concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O) dans l’air encapsulé au cœur de la glace et provenant de mesures atmosphériques récentes. Les données couvrent 650 000 années et les bandes grisées indiquent les périodes chaudes interglaciaires actuelles et passées. [adapté de la fig. 6.3}

Figure RT.2

Figure RT.2. Concentrations et forçage radiatif dus au dioxyde de carbone (CO2 en a), au méthane (CH4 en b), au protoxyde d’azote (N2O en c) et taux de variation de leur forçage radiatif combiné (en d) pendant les 20 000 dernières années, reconstitués à partir des glaces de l’Antarctique et du Groenland, des données fournies par les bulles d’air (symboles) et des mesures atmosphériques directes (tableaux a, b, c, lignes rouges). Les barres grises montrent les marges reconstituées de variabilité naturelle au cours des 650 000 dernières années. Le taux de changement du forçage radiatif (ligne noire du tableau d) a été calculé à partir de données lissées de concentration. L’amplitude d’âge dans les données de glace varie d’environ 20 ans pour des sites de haute accumulation de neige comme le Law Dome, en Antarctique, à environ 200 ans pour des sites d’accumulation basse comme le Dôme C, également en Antarctique. La flèche montre le taux maximal de changement du forçage radiatif qui existerait si les signaux anthropiques de CO2, CH4 et N2O étaient lissés selon les conditions du site de faible accumulation du Dôme C. Le taux négatif de variation du forçage autour des années 1600 présenté dans l’encart de résolution supérieure, situé au dessus de la figure (d), résulte d’une diminution de la concentration de CO2 d’environ 10 ppm dans les données fournies par le Law Dome. {Figure 6.4}

Le forçage radiatif total sur le climat terrestre dû à l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre de longue durée, CO2, CH4 et N2O, et très probablement le taux d’augmentation observé dans le forçage radiatif dû à ces gaz sur une période qui débute en 1750, sont sans précédent au cours des 10 000 dernières années (Figure RT.2). Il est très probable que le taux d’augmentation du forçage radiatif combiné à ces gaz à effet de serre, taux d’environ +1 W m-2 pendant les quatre décennies passées, soit au moins six fois plus élevé qu’à tout autre moment pendant les deux millénaires précédant l’ère industrielle, c’est-à-dire la période pendant laquelle les données fondamentales extraites de la glace possèdent une résolution temporelle suffisamment précise. Le forçage radiatif dû à ces GESLV possède le niveau le plus élevé de confiance de tous les agents de forçage. {2.3, 6.4}

La concentration de CO2 atmosphérique a augmenté d’environ 280 ppm, soit sa valeur préindustrielle, à 379 ppm en 2005. La concentration de CO2 atmosphérique ne s’est accrue que de 20 ppm au cours des 8 000 ans précédant l’industrialisation; les variations à l’échelle de quelques décennies ou de quelques siècles sont inférieures à 10 ppm et probablement surtout dues à des processus naturels. Mais depuis 1750, la concentration de CO2 est montée de presque 100 ppm. Le taux de croissance de CO2 annuel a été plus élevé ces dix dernières années (1995–2005, en moyenne 1,9 ppm/an) que depuis que des mesures atmosphériques directes continues existent (1960–2005, en moyenne 1,4 ppm an–1). {2.3, 6.4, 6.5}

Les augmentations de CO2 atmosphérique depuis des temps préindustriels sont responsables d’un forçage radiatif de +1,66 ± 0,17 W m–2, une contribution qui domine tous les autres agents de forçage radiatif considérés dans ce rapport. Au cours de la décennie s’étendant de 1995 à 2005, le taux de croissance du CO2 dans l’atmosphère a conduit à une augmentation de 20% de son forçage radiatif {2.3, 6.4, 6.5}

Les émissions de CO2 provenant de l’utilisation de combustibles fossiles et des effets des changements d’affectation des terres sur le carbone des plantes et du sol sont les causes principales de l’augmentation du CO2 atmosphérique. Depuis 1750, on estime que les deux tiers des émissions de CO2 anthropique proviennent des combustibles fossiles alors qu’un tiers découle des changements d’affectation des terres. Près de 45% de ce CO2 est resté dans l’atmosphère alors que 30% a été absorbé par les océans, le reste par la biosphère terrestre. Près de la moitié du CO2 rejeté dans l’atmosphère est absorbée après un séjour de l’ordre de 30 ans, 30% au bout de quelques siècles, et les 20% restant y séjournent généralement pendant plusieurs milliers d’années. {7.3}

Lors des dernières décennies, les émissions de CO2 n’ont cessé d’augmenter (voir la Figure RT.3). Les émissions mondiales annuelles fossiles[3] de CO2 ont augmenté, passant d’une moyenne de 6,4 ± 0,4 GtC an–1 dans les années 1990 à 7,2 ± 0,3 GtC an-1 au cours de la période 2000 à 2005. On estime que les émissions de CO2 associées à l’affectation des terres[4], se situent, en moyenne pour les années 1990, dans une fourchette allant de 0,5 à 2,7 GtC an–1, l’estimation centrale s’établissant à 1,6 GtC an–1. Le tableau RT.1 présente les bilans estimés de CO2 au cours des dernières décennies. {2.3, 6.4, 7.3, FAQ 7.1}

Figure RT.3

Figure RT.3. Variations annuelles de la concentration moyenne de CO2 mondiale (barres grises) et leurs moyennes quinquennales à partir de deux réseaux de mesure différents (lignes crénelée, noire inférieure et rouge). Les moyennes quinquennales aplanissent les perturbations à court terme associées aux forts événements ENSO en 1972, 1982, 1987 et 1997. Les incertitudes dans les moyennes quinquennales sont indiquées par la différence entre les marches d’escalier rouges et noires, et sont de l’ordre de 0,15 ppm. La ligne noire supérieure représente les augmentations annuelles qui arriveraient si toutes les émissions de combustible fossile restaient dans l’atmosphère sans aucune autre émission. {Figure 7.4}

Depuis les années 1980, les processus naturels d’assimilation du CO2 par la biosphère terrestre (dans le tableau RT.1 : le puits terrestre résiduel) et par les océans ont compensé environ 50% des émissions anthropiques (dans le tableau RT.1 : les émissions de CO2 dues aux combustibles fossiles et à la variance de l’affectation des terres). Ces processus de déplacement du CO2 dépendent de la concentration de CO2 atmosphérique et des changements du climat. Les absorptions par les océans et la biosphère terrestre sont de même ampleur mais l’assimilation par la biosphère terrestre varie plus fortement et elle était supérieure vers 1990 d’1 GtC an–1 au taux observé vers 1980. Les observations montrent que la quantité de CO2 dissoute dans l’océan superficiel (pCO2) a augmenté presque partout, suivant dans les grandes lignes l’augmentation de CO2 atmosphérique, mais avec une grande variabilité régionale et temporelle. {5.4, 7.3}

Tableau RT.1. Bilan carbonique mondial. Conventionnellement, les valeurs positives représentent des flux de CO2 vers l’atmosphère (GtC an-1) et les valeurs négatives l’absorption depuis l’atmosphère (« puits » de CO2). Les émissions de CO2 d’origine fossile pour 2004 et 2005 sont basées sur des évaluations provisoires. En raison du nombre limité d’études disponibles, pour le flux net terre->atmosphère et ses composantes, des marges d’incertitude sont données avec des intervalles de fiabilité de 65% et ne comprennent pas la variabilité interannuelle (cf. section 7.3). ND indique que les données ne sont pas disponibles.

 Années 80 Années 90 2000–2005 
Augmentation atmosphérique  3,3 ± 0,1 3,2 ± 0,1 4,1 ± 0,1 
Emissions fossiles de dioxyde de carbone  5,4 ± 0,3 6,4 ± 0,4 7,2 ± 0,3 
Flux net océanatmosphère  –1,8 ± 0,8 –2,2 ± 0,4 –2,2 ± 0,5 
Flux net solsatmosphère  –0,3 ± 0,9 –1,0 ± 0,6 –0,9 ± 0,6 
réparti comme suit : 
Flux dû aux changements d’affectation des sols 1,4 (0,4 to 2,3) 1,6 (0,5 to 2,7) ND 
Puits résiduel des sols –1,7 (–3,4 to 0,2) –2,6 (–4,3 to –0,9) ND 

L’absorption et le stockage du carbone dans la biosphère terrestre résultent de la différence nette entre l’absorption due à la croissance de la végétation, aux changements en termes de reboisement et au piégeage d’une part, et d’autre part les émissions dues à la respiration hétérotrophique, aux moissons, au déboisement, au feu, aux dégâts causés par la pollution et à d’autres facteurs de perturbation affectant la biomasse et les sols. Les augmentations et des diminutions de la fréquence des feux dans différentes régions ont affecté l’absorption nette du carbone et, dans des régions boréales, les émissions liées aux feux semblent avoir augmenté au cours des dernières décennies. Les évaluations des flux superficiels de CO2 déduites d’études s’intéressant au phénomène inverse et utilisant des réseaux de données atmosphériques mettent en exergue une assimilation importante par les sols à des latitudes moyennes dans l’hémisphère nord (HN) et des flux terre-atmosphère quasi-nuls sous les tropiques, impliquant que le déboisement tropical est approximativement compensé par la repousse. {7.3}

Les variations à court terme de la croissance du CO2 atmosphérique observées à l’échelle interannuelle sont principalement contrôlées par des changements du flux de CO2 entre l’atmosphère et la biosphère terrestre, et, de manière plus faible mais significative, par la variabilité dans des flux océaniques (voir Figure RT.3). La variabilité du flux de la biosphère terrestre s’explique par les fluctuations climatiques, lesquelles affectent l’absorption de CO2 par la croissance des plantes ; et le renvoi du CO2 dans l’atmosphère provient de la dégradation de la matière organique, par la respiration hétérotrophique et par les feux. Le phénomène El Niño / Oscillation australe (ENSO) est une source majeure de variabilité interannuelle du taux de croissance du CO2 atmosphérique, en raison de son effet sur les flux terrestres, sur les températures superficielles de la mer, sur les précipitations et l’incidence des feux. {7.3}

On ne peut aujourd’hui pas estimer avec fiabilité les effets directs de l’augmentation du CO2 atmosphérique sur l’assimilation carbonique terrestre à grande échelle. La croissance des plantes peut être stimulée par des concentrations de CO2 atmosphériques accrues et par la déposition nutritive (effet de fertilisation). Cependant, la plupart des expériences et études montrent que de telles réponses semblent être de relativement courte durée et fortement couplées à d’autres effets comme la disponibilité de l’eau et des substances nutritives. De même, les expériences et les études des effets du climat (la température et l’humidité) sur la respiration hétérotrophique de détritus et des sols sont équivoques. L’effet du changement climatique sur l’assimilation carbonique est abordé séparément dans la section RT.5.4. {7.3}

La quantité de CH4 en 2005, d’environ 1 774 ppb, représente plus du double de sa valeur préindustrielle. Les concentrations de CH4 atmosphérique ont varié lentement entre 580 et 730 ppb pendant les 10 000 dernières années, mais ont atteint environ 1 000 ppb au cours des deux derniers siècles, ce qui représente le changement le plus rapide de ce gaz sur au moins les 80 000 dernières années. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le taux de croissance de CH4 a atteint des maxima supérieurs à 1 % par an, puis a diminué significativement dans le début des années 1990 pour être presque annulé pendant la période de six ans de 1999 à 2005. Les augmentations de la quantité de CH4 se produisent lorsque les émissions sont supérieures aux absorptions. La baisse récente du taux de croissance implique que les émissions correspondent désormais approximativement aux absorptions, lesquelles sont principalement dues à l’oxydation par le radical hydroxyle (OH). Depuis le TRE, de nouvelles études utilisant deux traceurs indépendants (le chloroforme de méthyle et 14CO) ne suggèrent aucun changement significatif à long terme de l’abondance globale d’OH. Ainsi, le ralentissement du taux de croissance de CH4 atmosphérique depuis environ 1993 est probablement dû au fait que l’atmosphère s’approche d’un équilibre pendant une période d’émissions totales presque constantes. {2.3, 7.4, FAQ 7.1}

Les augmentations des concentrations de CH4 atmosphérique depuis les temps préindustriels ont conduit à un forçage radiatif de +0,48 ± 0,05 W m–2. Parmi les gaz à effet de serre, ce forçage n’est inférieur qu’à celui du CO2. {2.3}

Les niveaux actuels de CH4 atmosphérique s’expliquent par la poursuite des émissions de CH4 d’origine anthropique, lesquelles sont plus importantes que les émissions naturelles. Les émissions totales de CH4 peuvent être bien déterminées à partir des concentrations observées et d’évaluations indépendantes des taux d’absorptions de l’atmosphère. Les émissions des sources individuelles de CH4 ne sont pas aussi précisément estimées quantitativement que les émissions totales, mais sont pour l’essentiel biogènes et comprennent les rejets des terres humides, des animaux ruminants, de la riziculture et de la combustion de biomasse, avec des contributions moindres de sources industrielles incluant la combustion de carburants fossiles. Cette connaissance des sources de CH4, combinée avec l’étroite gamme de concentrations de CH4 au cours des 650 000 dernières années (cf. RT.1) et leur augmentation spectaculaire depuis 1750 (cf. figure RT.2), rendent très probable le fait que les changements relatifs au de CH4 observés sur le long terme proviennent de l’activité anthropique. {2.3, 6.4, 7.4}

En sus de son ralentissement pendant les quinze dernières années, le taux de croissance de CH4 atmosphérique a présenté une forte variabilité interannuelle, que l’on n’explique pas encore entièrement. Les plus grandes contributions à la variabilité interannuelle pendant la période 1996 à 2001 semblent être des variations dues aux émissions de la combustion de biomasse et provenant des terres humides. Plusieurs études indiquent que les émissions de CH4 des terres humides sont fortement sensibles à la température et qu’elles sont aussi affectées par des changements hydrologiques. Les modèles disponibles estiment tous des augmentations significatives des émissions des terres humides imputables aux changements climatiques futurs, mais varient grandement dans l’estimation de cet effet de rétroaction positive. {7.4}

La concentration de N2O en 2005 était de 319 ppb, soit environ 18 % plus élevée que sa valeur préindustrielle. Le protoxyde d’azote a augmenté à peu près linéairement d’environ 0,8 ppb an–1 lors des dernières décennies. Les données prélevées dans les couches de glace montrent que la concentration atmosphérique de N2O a varié de moins de 10 ppb environ pendant 11 500 ans précédant le début de la période industrielle. {2.3, 6.4, 6.5}

L’augmentation de N2O depuis l’ère préindustrielle contribue actuellement à un forçage radiatif de +0,16 ± 0,02 W m–2 et est due principalement aux activités humaines, particulièrement à l’agriculture et aux changements d’affectation des sols correspondants. Les évaluations actuelles fixent à environ 40% la part des émissions de N2O d’origine anthropique, toutefois les estimations tirées de sources individuelles restent entachées d’une incertitude significative. {2.3, 7.4}

  1. ^  Les émissions fossiles de CO2 comprennent celles qui sont issues de la production, de la distribution et de la consommation de combustibles fossiles et celles de cimenteries. Des émissions d’1 GtC correspondent à 3,67 GtCO2.
  2. ^  Comme indiqué à la section 7.3, les plages d’incertitude pour les émissions issues du changement d’affectation des sols, et donc pour tout le bilan du cycle du carbone, ne peuvent être fournies qu’avec un intervalle de confiance de 65%.