RT.5.4 Couplage des changements climatiques et des changements dans les cycles biogéochimiques
Tous les modèles qui traitent du couplage du cycle du carbone avec les changements climatiques indiquent un effet de rétroaction positif, le réchauffement tendant à faire baisser l’absorption du CO2 par les terres et par les océans, ce qui aboutit à une augmentation plus importante de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, et des changements climatiques plus importants sous l’empire d’un scénario d’émissions donné, mais la virulence de cet effet de rétroaction varie de façon très marquée entre les modèles. Depuis le TRE, plusieurs projections basées sur des modèles qui intègrent totalement le couplage du cycle du carbone avec le climat ont été mises au point et comparées. Pour le scénario A2 du RSSE, en se basant sur une série de résultats de modèles, l’augmentation projetée de la concentration du CO2 atmosphérique au cours du XXIe siècle sera probablement de 10 à 25% plus importante que dans les projections qui ne tiennent pas compte de cette rétroaction, ce qui ajoute plus d’1°C au réchauffement moyen projeté pour 2100 dans les scénarios RSSE à haut niveau d’émissions. De façon correspondante, la réduction de l’absorption de CO2 entraîné par cet effet fait baisser le seuil d’émissions de CO2 qui correspondrait à un niveau de stabilisation. Il faut compter cependant avec d’importantes incertitudes dues, par exemple, aux limites de notre compréhension des dynamiques des écosystèmes terrestres et des sols. {7.3, 10.4}
Des concentrations accrues en CO2 atmosphérique aboutissent directement à accélérer l’acidification des eaux de surface des océans. Les projections basées sur les scénarios du RSSE montrent une baisse de pH allant de 0,14 à 0,35 au cours du XXIe siècle (selon le scénario), soit une poursuite de la diminution actuelle de 0,1 unité par rapport à l’ère préindustrielle. L’acidification des océans aboutirait à la dissolution des sédiments carbonatés situés dans les eaux peu profondes. Les projections indiquent que les eaux de surface de l’océan austral montreront une sous-saturation en carbonate de calcium (CaCO3) si la concentration en CO2 dépasse les 600 ppm, niveau dépassé pendant la deuxième moitié du XXIe siècle dans la plupart des scénarios RSSE. Les régions situées sous les basses latitudes et les profondeurs des océans seront aussi affectées. Ces changements pourraient avoir un impact sur les organismes marins qui sécrètent leur exosquelette à partir du CaCO3, mais l’effet net sur le cycle biologique du carbone dans les océans n’est pas encore bien compris. {Encart 7.3, 10.4}
Les changements climatiques inertiels dus aux émissions du passé varient de façon considérable selon les agents de forçage considérés, en raison des différences entre leurs durées de vie respectives dans l’atmosphère (cf. encart RT.9). Les changements climatiques inertiels dus aux émissions du passé prennent en compte tant (i) le temps mis par le système climatique à répondre aux variations du forçage radiatif que (ii) les différentes échelles temporelles qui caractérisent l’impact des différents facteurs de forçage dans l’atmosphère après leur émission, en raison de leurs durées de vie respectives. Les changements climatiques inertiels dus aux émissions du passé connaissent typiquement une phase initiale d’augmentation de la température, pour les raisons discutées plus haut, suivie d’une phase de baisse à long terme tandis que le forçage radiatif baisse. Certains gaz à effet de serre ont des durées de vie atmosphérique relativement courtes (décennies ou moins) comme le CH4 et le monoxyde de carbone, tandis que d’autres comme le N2O ont des durées de vie de l’ordre du siècle et certains de l’ordre du millénaire, comme le SF6 et les CFC. Les concentrations atmosphériques de CO2 ne baissent pas selon une seule ligne bien définie de sa durée de vie après l’arrêt des émissions. L’absorption du CO2 émis dans l’atmosphère a lieu sur de multiples échelles temporelles, mais une partie du CO2 restera dans l’atmosphère pendant plusieurs milliers d’années, et c’est ainsi que son émission entraîne un engagement à très long terme en matière de changement climatique. Le lent effet tampon à long terme de l’océan, y compris la rétroaction des sédiments de CaO3, signifie qu’il faut entre 30 000 et 35 000 ans avant que CO2 atmosphérique n’atteigne l’équilibre. En mettant en œuvre des composants couplés au cycle du carbone, les MTCI montrent que les changements climatiques inertiels dus aux émissions de CO2 du passé persisteront pendant plus de 1000 ans, à tel point que même sur des échelles temporelles aussi longues que celle-ci, la température et le niveau de la mer ne reviendront pas au niveau qui était le leur pendant l’ère préindustrielle. On peut obtenir une indication des échelles temporelles longues qui sont celles des changements climatiques inertiels en postulant que les émissions anthropiques de CO2 se stabilisent à 750 ppm et tombent, de manière arbitraire, à zéro en 2100. Dans ce cas d’espèce, la concentration de CO2 atmosphérique mettrait de 100 à 400 ans, suivant les modèles, à passer du maximum (différentes fourchettes situées entre 650 et 700 ppm) à un niveau correspondant à un peu moins de deux fois la concentration de CO2 qui était celle de l’ère préindustrielle (soit environ 560 ppm), en raison d’un transfert de carbone lent mais continu de l’atmosphère et des stocks terrestres jusqu’à l’océan (cf. fig. RT.31). {7.3, 10.7}
On s’attend à ce que plusieurs gaz à effet de serre autres que le CO2 ainsi que leurs précurseurs soient couplés aux changements climatiques futurs. L’appréhension scientifique insuffisante des causes des récentes variations du taux d’augmentation du CH4 fait soupçonner de grandes incertitudes dans les projections relatives à ce gaz en particulier. Les émissions de CH4 issues des terres humides vont probablement augmenter sous dans les climats plus chauds et plus humides et diminuer dans les climats plus chauds et plus secs. Les observations laissent aussi penser qu’une quantité accrue de CH4 est émise par les tourbières nordiques dans lesquels le pergélisol est en train de fondre, bien que la magnitude à grande échelle de cet effet ne soit pas bien quantifiée à ce jour. Les variations de température, d’hygrométrie et de nébulosité pourraient aussi avoir un impact sur les émissions biogéniques de précurseurs de l’ozone, comme les composés organiques volatils. Les changements climatiques devraient aussi affecter l’ozone troposphérique par l’intermédiaire de modifications chimiques et du transport de substances. Les changements climatiques pourraient aboutir sur des variations de l’OH en raison de variations de l’humidité, et modifier les concentrations de l’ozone stratosphérique et ainsi l’irradiation ultraviolette d’origine solaire dans la troposphère. {7.4, 4.7}
On s’attend à ce que les émissions à venir de nombreux aérosols et de leurs précurseurs soient affectées par les changements climatiques. Les estimations des variations futures dans les émissions de poussières, selon plusieurs scénarios climatiques et d’affectation des terres, suggèrent que les effets des changements climatiques ont plus de poids que l’usage de la terre en matière de contrôle des émissions futures de poussières. Les résultats d’une étude laissent à penser que la météorologie et le climat auront plus d’influence sur les émissions de poussières et sur la fréquence des tempêtes de poussière à venir en Asie que la désertification. L’émission biogénique de composants organiques volatils – source importante d’aérosols organiques secondaires – est très réactive à la température, et augmente avec elle. Cependant, le rendement des aérosols baisse avec la température et l’impact des modifications de précipitations et de l’adaptation physiologique est incertain. Ainsi, les variations dans la production d’aérosols organiques secondaires biogéniques dans un climat plus chaud pourraient être considérablement plus faibles que la réponse des émissions de carbone organique volatil biogénique. Les changements climatiques peuvent aussi avoir un effet sur les flux océaniques de sulfure de diméthyle (qui est un précurseur de certains aérosols sulfatés) et les aérosols de sel marin ; cependant, les effets sur la température et sur les précipitations sont encore très incertains. {7.5}
Alors que l’effet de réchauffement du CO2 représente une force engagée pour plusieurs siècles, les aérosols quittent l’atmosphère après une période de quelques jours seulement, ce qui fait que le forçage radiatif négatif dû aux aérosols pourrait changer rapidement en réponse aux changements survenus dans l’émission d’aérosols ou de précurseurs d’aérosols. Puisque les aérosols sulfatés entraînent actuellement très probablement un forçage radiatif négatif substantiel, le forçage net à venir sera très réactif par rapport aux variations dans les émissions de sulfates. Une étude laisse à penser que si les particules d’aérosols sulfatés d’origine anthropique étaient, par hypothèse, réduites à néant, une augmentation rapide de la température moyenne mondiale se produirait, à l’échelle de 0,8°C en une décennie ou deux. Les variations dans les aérosols influencent aussi probablement les précipitations. Ainsi, l’effet des stratégies environnementales visant à atténuer les changements climatiques doit être étudié aussi bien sous l’angle des gaz à effet de serre que sous celui des émissions d’aérosols. Des variations des émissions d’aérosols pourraient être le résultat de mesures mises en place pour améliorer la qualité de l’air : ces mesures pourraient ainsi avoir des conséquences sur les changements climatiques. {Encart 7.4, 7.6, 10.7}
Les changements climatiques modifieraient un certain nombre de processus chimiques et physiques qui contrôlent la qualité de l’air et les effets nets varieront probablement d’une région à l’autre. Les changements climatiques peuvent affecter la qualité de l’air en modifiant le rythme de dispersion des polluants, le rythme auquel les aérosols et les substances solubles sortent de l’atmosphère, l’environnement chimique général générant des polluants et la force des émissions issues de la biosphère, des feux et des poussières. Les changements climatiques devraient aussi faire baisser les concentrations d’ozone au niveau mondial. En règle générale, l’effet net des changements climatiques sur la qualité de l’air est très incertain. {Encart 7.4}