IPCC Fourth Assessment Report: Climate Change 2007
Rapport du Groupe de travail I - Les éléments scientifiques

RT.3.5 Une perspective paléoclimatique

Les études paléoclimatiques font usage de mesures de changements passés dérivées des températures présentes dans des carottages, changements des eaux interstitielles dans les sédiments océaniques et changements de l’extension des glaciers, ainsi que des mesures indirectes tels que les changements dans les paramètres physiques, chimiques et biologiques qui reflètent les changements passés dans un environnement où ces données représentatives ont crû ou existé. Les études paléoclimatiques reposent sur une multitude de données indirectes de sorte que les résultats peuvent être contre-vérifiés et les incertitudes mieux comprises. Il est désormais accepté et vérifié que beaucoup d’organismes biologiques (par exemples les arbres, le corail, le plancton, les animaux) changent leur croissance et/ou leur dynamique de population en réponse au changement climatique et que ces changements dus au climat sont bien enregistrés dans la croissance passée de spécimens ou d’assemblages d’organismes vivants ou morts (fossiles). Des chronologies de réseaux d’épaisseur et de densité des cernes de croissance des arbres sont utilisées pour déchiffrer les changements passés de températures en se basant sur le calibrage avec des données d’instruments qui se recoupent temporairement. Alors que ces méthodes sont largement utilisées, il existe des questions au sujet des distributions des mesures disponibles, à quel point celles-ci échantillonnent le globe, et des questions telles que le degré auquel ces méthodes sont faussées spatialement ou saisonnièrement ou présentent des divergences apparentes liées au changement climatique récent. {6.2}

Il est très probable que les températures moyennes dans l’hémisphère nord durant la seconde moitié du XXe siècle aient été plus chaudes qu’à n’importe quelle autre période de 50 ans durant les 500 dernières années, et cette période représente probablement la période plus chaude des 1 300 dernières années au moins. Les données à l’appui de ces conclusions concernent principalement les masses terrestres extratropicales en été (particulièrement pour les périodes plus longues, voir figure RT.20). Ces conclusions sont basées sur des données indirectes telles que l’épaisseur ou la densité d’un cerne de croissance d’arbre, la composition isotopique de divers éléments dans la glace ou la composition chimique d’une bande de croissance de corail, ce qui exige des analyses pour en extraire des informations sur la température et sur les incertitudes associées. Parmi les incertitudes clefs, on note que température et la précipitation sont difficiles à séparer dans certains cas, ou sont représentatives de saisons particulières plutôt que d’années pleines. Depuis le TRE, il existe désormais des données améliorées et augmentées y compris, par exemple, des mesures prises sur de nombreux sites, une analyse améliorée des données de températures de forage, et des analyses plus étendues des glaciers, coraux et sédiments. Cependant, les données paléoclimatiques sont plus limitées que les enregistrements par instrument depuis 1850 à la fois dans le temps et l’espace ; ainsi des méthodes statistiques sont utilisées pour construire des moyennes mondiales, et celles-ci sont également sujettes à des incertitudes. Les données actuelles sont trop limitées pour permettre une évaluation identique des températures de l’hémisphère sud avant la période d’enregistrements par instruments. {6.6, 6.7}

Figure RT.20

Figure RT.20. (En haut) Relevés des variations de température dans l’hémisphère nord durant les 1300 dernières années, avec 12 reconstitutions usant de multiples données climatiques indirectes montrées en couleur et d’enregistrements instrumentaux, montrés en noir. (Au milieu et en bas) Situation géographique des enregistrements indirects sensibles à la température avec des données remontant à 1000 et 1500 après JC (cernes de croissance des arbres : triangles bruns ; forages : cercles noirs ; glace ou forage de glace : étoiles bleues ; autres données incluant des données à basse résolution : carrés violets). Les sources des données sont présentées au tableau 6.1, figure 6.10 et sont discutées dans le chapitre 6. {Figures 6.10 et 6.11}

Certaines données post-TRE indiquent une plus grande variabilité pluriséculaire dans l’hémisphère nord que celle montrée dans le TRE, en raison des données indirectes particulières employées et des méthodes statistiques spécifiques de traitement et/ou de mise à échelle pour représenter des températures passées. La variabilité additionnelle implique des conditions plus fraîches surtout durant les XIIe, XIVe, XVIIe et XIXe siècles ; celles-ci sont probablement liées au forçage naturel lié à des éruptions volcaniques et/ou à l’activité solaire. Par exemple, les reconstructions suggèrent qu’il y aurait eu une augmentation de l’activité volcanique et une diminution de l’activité solaire durant le XVIIe siècle par rapport aux conditions actuelles. Une reconstruction suggère des conditions légèrement plus chaudes durant le XIe siècle que celles suggérées par le TRE, mais à l’intérieur des incertitudes citées par le TRE.

Les enregistrements de CO2 à l’intérieur de la glace sur le dernier millénaire offrent une contrainte additionnelle sur la variabilité naturelle du climat. L’amplitude des changements de température à l’ère préindustrielle, à un horizon inter-décennal dans l’hémisphère nord à partir de reconstructions basées sur des données indirectes (<1°C) est grossièrement conforme aux enregistrements de CO2 à l’intérieur de la glace et à la compréhension de la force de rétroaction climat – cycle du carbone. Le CO2 atmosphérique et la température en Antarctique ont co-varié durant les 650 000 dernières années. Les données disponibles suggèrent que le CO2 agit comme amplificateur d’effet. {6.4, 6.6}

Les changements dans les glaciers sont évidents dans les données de l’Holocène, mais ces changements sont dus à d’autres processus que le recul de la fin du XXe siècle. Les glaciers de plusieurs régions de l’hémisphère nord se sont retirés en réponse à la chaleur régionale renforcée par la force orbitale il y a entre 11 000 et 5 000 ans et ils étaient plus petits qu’à la fin du XXe siècle (voire même inexistants) à certains moments il y a 5 000 ans. L’actuel retrait quasi-mondial des glaciers de montagne ne peut pas être dû aux mêmes causes, parce que la diminution de l’ensoleillement estival durant les quelques derniers milliers d’années devrait être favorable à la croissance des glaciers. {6.5}

Les données paléoclimatiques offrent des preuves de changement dans beaucoup de régions climatiques. La force et la fréquence de phénomènes ENSO ont varié dans les climats précédents. Il y a des preuves que la force de la mousson asiatique, et donc des précipitations, peut changer brutalement. Les enregistrements paléoclimatiques d’Afrique orientale et septentrionale et d’Amérique du nord indiquent que des sécheresses durant des années ou des siècles sont un trait récurrent du climat dans ces régions, ce qui fait que les récentes sécheresses en Afrique du nord et en Amérique du nord ne sont pas sans précédents. Des ensembles de données individuelles paléoclimatiques fondées sur des décennies soutiennent l’existence d’une variabilité régionale quasi-périodique, mais il est improbable que ces signaux régionaux soient cohérents à l’échelle mondiale. {6.5, 6.6}

De fortes preuves scientifiques à partir de données sur les sédiments des océans et à partir de modélisations lient les changements abrupts de climat durant la dernière période glaciaire et la transition glaciaire-interglaciaire aux changements dans la circulation de l’océan Atlantique. La compréhension actuelle suggère que la circulation océanique peut devenir instable et changer rapidement quand certains seuils sont franchis. Ces phénomènes ont affecté la température par quelque 16°C au Groenland et ont influencé les schémas de précipitations tropicales. Ils étaient probablement associés à la redistribution de chaleur entre les deux hémisphères plus qu’à de grands changements dans la température moyenne mondiale. De pareils phénomènes n’ont pas été observés durant les 8 000 dernières années. {6.4}

La confiance dans la compréhension des changements climatiques du passé et des changements du forçage orbital est renforcée par la meilleure capacité des modèles actuels à simuler les conditions climatiques du passé. Le dernière extension glaciaire maximum (LGM, il y a environ 21 000 ans) et l’holocène moyen (il y a 6 000 ans) étaient différents du climat actuel non pas en raison d’une variabilité aléatoire mais en raison du changement de forçage saisonnier et mondial, lié aux différences connues dans l’orbite terrestre (voir Encart RT.6). Les rétroactions biogéophysiques et biogéochimiques ont amplifié la réponse aux forçages orbitaux. Les comparaisons entre des conditions simulées et reconstruites du LGM démontrent que les modèles peuvent saisir les grandes lignes des changements induits dans la température et dans les schémas de précipitation. Pour l’holocène moyen, des modèles climatiques couplés peuvent simuler un réchauffement à moyenne latitude ainsi qu’une augmentation des moussons, avec peu de changement dans la température globale moyenne (<0,4°C), ce qui est conforme à notre compréhension du forçage orbital. {6.2, 6.4, 6.5, 9.3}

Le niveau moyen de la mer à l’échelle du globe était probablement de 4 à 6 mètres plus élevé pendant la dernière période interglaciaire, il y a environ 125 000 ans, que durant le XXe siècle, surtout en raison du retrait des glaces polaires (figure RT.21). D’après les données fournies par les carottes glaciaires, la région sommitale du Groenland était recouverte de glace durant cette période, mais l’inlandsis avait diminué d’étendue dans certaines parties du sud du Groenland. Toujours d’après ces données, les températures polaires moyennes étaient à cette époque de 3 à 5°C supérieures à celles du XXe siècle en raison du positionnement différent de l’orbite terrestre. L’inlandsis du Groenland et les autres champs de glace arctiques n’ont probablement pas contribué pour plus de 4 mètres à l’élévation observée du niveau de la mer, ce qui laisse supposer l’éventualité d’une contribution de l’Antarctique. {6.4}

Encart RT.6. Le forçage orbital

Il est établi à partir de calculs astronomiques que des changements périodiques dans les caractéristiques de l’orbite terrestre autour du Soleil contrôlent la distribution saisonnière et latitudinale de la radiation solaire sur le haut de l’atmosphère (ci-après « ensoleillement »). Les changements passés et futurs en ensoleillement peuvent être calculés sur plusieurs millions d’années avec un confiance élevée. {6.4}

La précession fait référence aux changements durant une période de l’année durant laquelle la Terre est le plus près du Soleil avec des quasi-périodicités comprises entre 19 000 et 23 000 ans. Par suite, des changements dans la position et la durée des saisons sur l’orbite font considérablement varier la distribution latitudinale et saisonnière de l’ensoleillement. Les changements saisonniers de l’ensoleillement sont beaucoup plus importants que les changements annuels moyens et peuvent atteindre 60 W m–2 (Encart RT.6, Figure 1).

Encart RT.6 Figure 1

Encart RT.6, Figure 1. Schéma des changements orbitaux terrestres (cycles de Milankovitch) qui dirigent les cycles d’ères glaciaires. « T » indique un changement dans l’obliquité de l’axe de la Terre, « E » indique un changement dans l’excentricité de l’orbite, et « P » indique la précession, c’est-à-dire, les changements dans la direction de l’obliquité de l’axe à un point donné de l’orbite. {FAQ 6.1, Figure 1}

L’obliquité (ou inclinaison de l’axe) de la Terre varie entre environ 22° et 24,5° avec deux quasi-périodicités voisines d’environ 41 000 ans. Les changements dans l’obliquité font varier les contrastes saisonniers ainsi que les changements annuels moyens d’ensoleillement avec des effets opposés dans les latitudes hautes et basses (et par conséquent sans effet sur l’ensoleillement mondial annuel). {6.4}

L’excentricité de l’orbite de la Terre autour du Soleil a de plus longues quasi-périodicités d’environ 100 000 ans tous les 400 000 ans. Les changements dans la seule excentricité ont un impact limité sur l’ensoleillement, dû à la très faible variation de distance Terre- Soleil. Cependant, le changement d’excentricité interagit avec les effets saisonniers induits par l’obliquité et la précession des équinoxes. Durant les périodes de faible excentricité, telle qu’il y a 400 000 ans et pour les 100 000 années suivantes, les changements d’ensoleillement saisonniers induits par précession ne sont pas aussi importants que durant les périodes de grande excentricité (Encart RT.6, Figure 1). {6.4}

La théorie de Milankovitch ou théorie « orbitale » des ères glaciaires, est maintenant bien développée. Les ères glaciaires sont généralement enclenchées par des minima dans l’ensoleillement estival des hautes latitudes de l’hémisphère nord, permettant aux chutes de neige hivernales de persister toute l’année et ainsi de s’accumuler pour constituer des nappes glaciaires sur l’hémisphère nord. De manière identique, on pense que les périodes présentant des ensoleillements estivaux particulièrement intenses sous les hautes latitudes de l’hémisphère nord, déterminés par des changements orbitaux, enclenchent de rapides déglaciations, les changements climatiques qui leur sont associés et une élévation du niveau de la mer. Ces forçages orbitaux déterminent le rythme des changements climatiques, tandis que les grandes réponses semblent être déterminées par des processus de puissante rétroaction, qui amplifient le forçage orbital. À une échelle de temps plurimillénaire, le forçage orbital exerce également une grande influence sur les systèmes climatiques essentiels tels que les principales moussons, la circulation mondiale des océans, et la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. {6.4}

Les preuves disponibles indiquent que le réchauffement actuel ne sera pas affaibli par une tendance naturelle au rafraîchissement vers des conditions glaciaires. La compréhension de la réponse de la Terre au forçage orbital indique que la Terre ne devrait pas naturellement entrer dans une nouvelle période glaciaire avant 30 000 ans au moins. {6.4, FAQ 6.1}

Figure RT.21

Figure RT.21. Changement de température de l’air de surface en été par rapport au présent au-dessus de l’Arctique (à gauche) et épaisseur de la glace et extension du Groenland et des glaciers arctiques occidentaux (à droite) pour la dernière période interglaciaire, il y a approximativement 125 000 ans, à partir de multi-modèles et de synthèses de données indirectes multiples. (À gauche) Une simulation multi-modélisée de réchauffement estivale durant la dernière période interglaciaire est recouverte par des estimations indirectes de réchauffement estival maximum à partir de sites terrestres (cercles) et marins (losanges). (À droite) Extension et épaisseur de la couche de glace du Groenland et des glaciers du Canada occidental et d’Islande à leur extension minimum durant la dernière période interglaciaire montrée comme une moyenne multi-modélisée à partir de trois modèles de glaces. Les observations des carottes glaciaires indiquent que durant la dernière période interglaciaire il y a de la glace aux sites suivants (points blancs) : Renland (R), Ice Core Project au Groenland du nord (N), Sommet (S, GRIP et GISP2), et potentiellement à Camp Century (C), mais pas de glace aux sites suivants (points noirs) : Devon (De) et Agassiz (A). Les preuves d’existence de glace LIG à Dye–3 (D, points gris) ne sont pas concluantes. {Figure 6.6}