5. Les perspectives à long terme
La détermination de ce qui constitue une « perturbation anthropique dangereuse du système climatique » au sens de l’article 2 de la CCNUCC fait intervenir des jugements de valeur. Les connaissances scientifiques sont en mesure d’éclairer cette analyse, par exemple en précisant les critères à retenir pour apprécier le caractère critique d’une vulnérabilité. {Encadré « Vulnérabilités critiques et article 2 de la CCNUCC », Point 5}.
De nombeux systèmes sensibles aux conditions climatiques peuvent présenter des vulnérabilités critiques, dont l’approvisionnement alimentaire, l’infrastructure, la santé, les ressources en eau, les systèmes côtiers, les écosystèmes, les cycles biogéochimiques à l’échelle planétaire, les nappes glaciaires et les configurations de la circulation atmosphérique et océanique. {Encadré « Vulnérabilités critiques et article 2 de la CCNUCC », Point 5}
Les cinq « motifs de préoccupation » exposés dans le troisième Rapport d’évaluation sont encore valables pour examiner les vulnérabilités critiques. Ils se seraient aggravés selon les analyses présentées ici. Un degré de confiance supérieur est attaché à de nombreux risques, dont certains seraient plus grands ou surviendraient à un niveau de réchauffement moindre que prévu. On saisit mieux aujourd’hui les liens qui unissent les incidences (à l’origine des « motifs de préoccupation ») à la vulnérabilité (y compris la capacité de s’adapter à ces incidences). {5.2}
On est à même de cerner plus précisément les facteurs qui rendent les systèmes, secteurs et régions particulièrement vulnérables et on a de plus en plus de raisons de craindre que le globe ne subisse de très vastes impacts à l’échelle de plusieurs siècles. {5.2}
- Risques encourus par les systèmes uniques et menacés. De nouvelles observations viennent confirmer l’incidence des changements climatiques sur les systèmes uniques en leur genre et vulnérables (notamment les populations et les écosystèmes des régions polaires et de haute montagne), pour lesquels les effets défavorables s’intensifient avec la hausse des températures. Les projections actuelles font apparaître, avec un degré de confiance plus élevé que dans le TRE, que le risque d’extinction d’espèces et de détérioration des récifs coralliens augmente avec le réchauffement. Si la température moyenne de la planète dépassait de plus de 1,5 à 2,5 °C les niveaux de 1980 à 1999, le risque d’extinction de 20 à 30 % des espèces végétales et animales recensées à ce jour serait probablement accru (degré de confiance moyen). On est davantage assuré qu’une élévation de la température moyenne à la surface du globe de 1 à 2 °C par rapport aux niveaux de 1990 (soit 1,5 à 2,5 °C de plus qu’à l’époque préindustrielle) menacerait gravement nombre de systèmes uniques et fragiles, et notamment beaucoup de zones dotées d’une grande diversité biologique. Les coraux sont sensibles au stress thermique et disposent d’une faible capacité d’adaptation. Selon les projections, les épisodes de blanchissement seraient plus fréquents et la mortalité serait massive si la température de la mer en surface augmentait de 1 à 3 °C, à moins d’une adaptation thermique ou d’une acclimatation des coraux. Par ailleurs, les projections font état d’une vulnérabilité accrue des populations autochtones de l’Arctique et des petites îles en cas de réchauffement. {5.2}
- Risques de phénomènes météorologiques extrêmes. Comme l’ont révélé les réactions à plusieurs phénomènes climatiques extrêmes survenus récemment, la vulnérabilité est plus grande qu’on ne l’envisageait dans le troisième Rapport d’évaluation, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. On anticipe aujourd’hui avec un degré de confiance plus élevé une augmentation des sécheresses, des vagues de chaleur et des inondations ainsi qu’un accroissement de leurs effets défavorables. {5.2}
- Répartition des effets et des vulnérabilités. Il existe des écarts considérables entre les régions, et celles dont la situation économique est la plus défavorable sont souvent les plus vulnérables aux changements climatiques et aux dommages qui s’y associent, en particulier en présence de stress multiples. On a davantage de raisons de penser que certains segments de la population deviennent plus vulnérables, notamment les pauvres et les personnes âgées, dans les pays en développement comme dans les pays développés. Par ailleurs, de plus en plus d’éléments semblent indiquer que les zones peu développées ou situées aux basses latitudes, notamment les régions sèches et les grands deltas, seront davantage exposées. {5.2}
- Effets cumulés. Selon les projections, les avantages nets liés au marché qu’offrira dans un premier temps le changement climatique culmineront à un niveau de réchauffement moindre, et donc plus tôt qu’il n’était indiqué dans le TRE. Il est probable que la hausse plus marquée de la température à la surface du globe provoquera des dommages plus importants qu’estimé dans le TRE. De plus, le coût net des effets d’un réchauffement accru devrait augmenter au fil du temps. {5.2}
- Risques de singularités à grande échelle. On estime avec un degré de confiance élevé que, si la planète continuait de se réchauffer pendant plusieurs siècles, l’élévation du niveau de la mer due à la seule dilatation thermique serait beaucoup plus importante qu’elle ne l’a été au XXe siècle, engloutissant des zones côtières entières, avec toutes les incidences connexes. Par rapport au troisième Rapport d’évaluation, on comprend mieux que le risque de voir le Groenland et, éventuellement, l’Antarctique contribuer eux aussi à l’élévation du niveau de la mer puisse être supérieur à celui projeté par les modèles de nappes glaciaires et que le phénomène puisse durer plusieurs siècles. En effet, la dynamique des glaces qui a été observée récemment, mais dont les modèles évalués dans le quatrième Rapport d’évaluation n’ont pas parfaitement tenu compte, risque d’accélérer la disparition des glaces. {5.2}
Ni l’adaptation ni l’atténuation ne permettront, à elles seules, de prévenir totalement les effets des changements climatiques (degré de confiance élevé). Les deux démarches peuvent toutefois se compléter et réduire sensiblement les risques encourus. {5.3}
L’adaptation est nécessaire à court et à plus long terme pour faire face aux conséquences du réchauffement qui sont inéluctables, même selon les scénarios de stabilisation aux niveaux les plus bas qui ont été évalués. Il existe des obstacles, des limites et des coûts que l’on ne cerne pas toujours parfaitement. Il est probable que, si l’évolution du climat se poursuivait sans intervention, la capacité d’adaptation des systèmes naturels, aménagés et humains serait dépassée à longue échéance. Ces seuils ne seront pas franchis au même moment dans tous les secteurs, ni dans toutes les régions. La mise en œuvre précoce de mesures d’atténuation permettrait de ne pas rester tributaire d’une infrastructure à forte intensité de carbone et d’atténuer les effets des changements climatiques et les besoins d’adaptation connexes. {5.2, 5.3}
Il est possible de diminuer, de différer ou d’éviter de nombreux effets grâce aux mesures d’atténuation. Les efforts et les investissements qui seront réalisés dans les vingt à trente prochaines années auront une incidence notable sur la possibilité de stabiliser les concentrations à un niveau relativement bas. Tout retard pris dans la réduction des émissions amenuiserait sensiblement cette possibilité et accentuerait les risques d’aggravation des effets. {5.3, 5.4, 5.7}
Les émissions de GES doivent culminer puis décroître pour que les concentrations atmosphériques de ces gaz se stabilisent. Plus le niveau de stabilisation visé est bas, plus le pic doit être atteint rapidement. {5.4}
Le tableau RiD.6 et la figure RiD.11 présentent les taux d’émissions associés à différentes concentrations de stabilisation ainsi que l’élévation résultante, à l’équilibre et à long terme, de la température du globe et du niveau de la mer due à la seule dilatation thermique. Pour atteindre un niveau donné de stabilisation des températures, les mesures d’atténuation doivent être prises plus tôt et avec plus de rigueur si l’on suppose que la sensibilité du climat est grande. {5.4, 5.7}
Tableau RiD.6. Caractéristiques des scénarios de stabilisation post-TRE et élévation résultante, à l’équilibre et à long terme, de la température moyenne à la surface du globe et du niveau de la mer due à la seule dilatation thermique.a {Tableau 5.1}
Catégorie | Concentration de CO2 au niveau de stabilisation (2005 = 379 ppm)b | Concentration d’équivalent-CO2 au niveau de stabilisation, y compris GES et aérosols (2005 = 375 ppm)b | Année du pic d’émissions de CO2a, c | Variation des émissions mondiales de CO2 en 2050 (par rapport aux émissions en 2000)a, c | Écart entre la température moyenne du globe à l’équilibre et la température préindustrielle, selon la valeur la plus probable de la sensibilité du climatd, e | Écart entre le niveau moyen de la mer à l’équilibre et le niveau préindustriel dû à la seule dilatation thermiquef | Nombre de scénarios évalués |
---|
| ppm | ppm | année | % | °C | mètres | |
---|
I | 350-400 | 445-490 | 2000-2015 | - 85 à - 50 | 2,0-2,4 | 0,4-1,4 | 6 |
II | 400-440 | 490-535 | 2000-2020 | - 60 à - 30 | 2,4-2,8 | 0,5-1,7 | 18 |
III | 440-485 | 535-590 | 2010-2030 | - 30 à + 5 | 2,8-3,2 | 0,6-1,9 | 21 |
IV | 485-570 | 590-710 | 2020-2060 | + 10 à + 60 | 3,2-4,0 | 0,6-2,4 | 118 |
V | 570-660 | 710-855 | 2050-2080 | + 25 à + 85 | 4,0-4,9 | 0,8-2,9 | 9 |
VI | 660-790 | 855-1 130 | 2060-2090 | + 90 à +140 | 4,9-6,1 | 1,0-3,7 | 5 |
Il est inévitable que le réchauffement s’accompagne d’une élévation du niveau de la mer. La dilatation thermique se poursuivra pendant de nombreux siècles après que les concentrations de GES se seront stabilisées, à quelque niveau que ce soit, provoquant une montée des eaux beaucoup plus importante que celle projetée pour le XXIe siècle. Si la hausse des températures se maintenait pendant des siècles au-delà de la fourchette 1,9-4,6 °C par rapport à l’époque préindustrielle, la fonte de l’inlandsis groenlandais pourrait faire monter le niveau de la mer de plusieurs mètres, pour un apport supérieur à celui de la dilatation thermique. Étant donné les délais en jeu dans la dilatation thermique et la réaction des nappes glaciaires au réchauffement, il s’écoulerait des siècles entre le moment où les concentrations de GES se stabiliseraient aux niveaux actuels ou à des niveaux supérieurs et le moment où le niveau de la mer cesserait à son tour de monter. {5.3, 5.4}
Tous les niveaux de stabilisation analysés pourraient être atteints en déployant un éventail de technologies qui sont déjà commercialisées ou qui devraient l’être d’ici quelques décennies, à condition toutefois que des mesures adaptées et efficaces stimulent la mise au point, l’acquisition, l’application et la diffusion de ces technologies et éliminent les obstacles connexes (large concordance, degré élevé d’évidence). {5.5}
Selon l’ensemble des scénarios de stabilisation évalués, 60 à 80 % du recul des émissions proviendrait de l’approvisionnement et de la consommation énergétique ainsi que des procédés industriels. L’efficacité énergétique joue un rôle prépondérant dans de nombreux scénarios. En ce qui concerne l’utilisation des terres et la foresterie, les mesures d’atténuation visant à la fois le CO2 et les autres gaz offrent une plus grande souplesse et une meilleure efficacité par rapport au coût. Les bas niveaux de stabilisation exigent des investissements précoces ainsi qu’une diffusion et une commercialisation beaucoup plus rapides des technologies de pointe à faibles taux d’émission. {5.5}
Il pourrait s’avérer difficile de réduire les émissions de manière significative sans procéder à des investissements conséquents et à un transfert efficace des technologies. Il importe par ailleurs d’assurer le financement du surcoût des technologies pauvres en carbone. {5.5}
En règle générale, les coûts macroéconomiques de l’atténuation augmentent parallèlement à la rigueur des objectifs de stabilisation (tableau RiD.7). Ils s’écartent considérablement de la moyenne pour certains pays et secteurs. {5.6}
Une stabilisation entre 710 et 445 ppm équiv.-CO2 en 2050 impliquerait, à l’échelle de la planète, des coûts macroéconomiques moyens se situant entre une hausse de 1 % et une baisse de 5,5 % du PIB mondial (tableau RiD.7). Cela équivaut à un ralentissement de la progression moyenne du PIB mondial de moins de 0,12 point de pourcentage par an. {5.6}
Tableau RiD.7. Estimation des coûts macroéconomiques mondiaux en 2030 et 2050, relativement à la base de référence établie pour les voies les moins coûteuses de stabilisation à long terme. {Tableau 5.2}
Niveau de stabilisation (ppm équiv.-CO2) | Médiane de la baisse du PIBa ( %) | Baisse du PIBb (%) | Ralentissement de la progression moyenne du PIB par an (points de pourcentage)c, e |
---|
| 2030 | 2050 | 2030 | 2050 | 2030 | 2050 |
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445-535d | Non disponible | < 3 | < 5,5 | < 0,12 | < 0,12 |
535-590 | 0,6 | 1,3 | 0,2 à 2,5 | légèrement moins de 4 | < 0,1 | < 0,1 |
590-710 | 0,2 | 0,5 | - 0,6 à 1,2 | - 1 à 2 | < 0,06 | < 0,05 |
Faire face aux changements climatiques suppose un processus itératif de gestion des risques qui prenne en considération les mesures d’atténuation comme les mesures d’adaptation et qui tienne compte des dommages et des avantages connexes, de la durabilité, de l’équité et de l’attitude à l’égard des risques. {5.1}
Les répercussions des changements climatiques imposeront très probablement des coûts annuels nets qui s’alourdiront à mesure que les températures augmenteront à l’échelle planétaire. Des estimations validées établissent en moyenne le coût social du carbone à 12 $ É.-U. par tonne de CO2 en 2005, mais la fourchette obtenue sur cent estimations est large (- 3 à 95 $ É.-U./t CO2). Cela s’explique en partie par les différentes hypothèses retenues quant à la sensibilité du climat, aux délais de réponse, au traitement des risques et des questions d’équité, aux incidences économiques et autres, à la prise en compte d’éventuelles pertes catastrophiques et aux taux d’actualisation. Les valeurs totales estimées des coûts masquent des écarts importants entre secteurs, régions et populations. Elles sous-estiment très probablement le coût des dommages, puisque nombre d’incidences sont impossibles à chiffrer. {5.7}
D’après les résultats préliminaires et partiels d’un certain nombre d’analyses intégrées, les coûts et les avantages des mesures d’atténuation seraient du même ordre de grandeur, sans qu’il soit toutefois possible de déterminer avec certitude le mode de réduction des émissions ou le niveau de stabilisation pour lequel les avantages excéderaient les coûts. {5.7}
La sensibilité du climat reste l’une des principales incertitudes qui entachent les scénarios d’atténuation visant une température donnée. {5.4}
Le choix de l’ampleur et du calendrier des mesures d’atténuation exige de mettre en balance les coûts économiques d’une baisse accélérée des émissions de GES et les risques climatiques à moyen et long terme d’un retard d’intervention. {5.7}